- SPHINX (histoire de l’art)
- SPHINX (histoire de l’art)SPHINX, histoire de l’artHybride léonin à tête humaine, le sphinx apparut en Égypte sous la IVe dynastie, avant de se répandre dans l’iconographie orientale, au IIIe millénaire avant J.-C. Couché ou passant, il appartient à la grande statuaire (sphinx de Gizeh), mais sa présence dans les tombes et sur les amulettes indique d’emblée sa double nature, funéraire et prophylactique. Piétinant ses ennemis, il symbolise Pharaon empruntant même, sous la XVIIIe dynastie, ses traits à la reine Hatchepsout. De l’Ancien au Nouvel Empire, le sphinx reste un motif majeur de la plastique (reliefs, allées d’accès aux temples). Dès la période Hyksos, il est aussi reproduit sur de petits objets, bijoux, ivoires, où un type, ailé, se constitue. Confirmée au Nouvel Empire (période où il fut reproduit sur des scarabées et dans le mobilier), cette vocation miniaturiste et décorative concourut à diffuser le motif vers l’Assyrie, puis vers Chypre et la Grèce. Représenté barbu et marchant, le sphinx oriental apparaît sur des sceaux-cylindres. Isolé ou dédoublé en blason, il ressortit essentiellement au répertoire de la glyptique. Il ne sera représenté en Crète qu’au Minoen II (\SPHINX (histoire de l’art) 1700; jaspe d’Arkanès; sardoine de Sitéa) et introduit plus tardivement à Mycènes, vers \SPHINX (histoire de l’art) 1400, dans l’orfèvrerie et la toreutique. Une plus grande schématisation ainsi que l’enrichissement de ses ornements (colliers, coiffures) conduiront à sa féminisation. Durant la période dite des «Âges sombres» (\SPHINX (histoire de l’art) XIe-VIIIe s.), le schéma formel s’est perdu, imposant aux artisans de l’époque géométrique la reconquête du motif. Si, à Corinthe, on hésite encore sur son sexe (sphinx à barbe, sur un pinax — plaque peinte en terre cuite — du \SPHINX (histoire de l’art) VIe s.), l’art archaïque confère au monstre sa structure canonique, féminine et ailée. Réinterprétée, la sphinge grecque garde de l’Orient sa fonction décorative, ornant les étoffes, les casques (répliques de l’Athéna Parthénos ), les trônes (Zeus de Phidias à Olympie; Pausanias, V, XI, 2). Sans perdre pour autant son caractère funéraire, elle couronnera les stèles et gagnera, en Grande-Grèce comme en Étrurie, une dimension eschatologique sans précédent. Les artisans attiques qui, dans la composition héraldique, placent une victime humaine entre les pattes des sphinges affrontées cessent de tenir le motif pour un schème ornemental. La représentation glisse vers la narration mythologique. On montrera, parfois crûment, la succube, connue de la littérature, emportant sous elle le jeune Thébain. Dès le début du \SPHINX (histoire de l’art) VIe siècle, la sphinge a acquis un statut mythique à l’égal des grands monstres du répertoire. L’affrontement intellectualisé qui l’oppose à Œdipe et qui succède, dans le répertoire, aux violences de la ravisseuse, se répète dans la peinture de vases entre \SPHINX (histoire de l’art) 520 et \SPHINX (histoire de l’art) 400 (J. J. Moret, Œdipe, la sphinx et les Thébains , 1984, pl. 45-46). La questionneuse, perchée sur le rocher ou la colonne, incarne les pièges de la destinée, puisque la clairvoyance du héros, triomphant de l’énigme, le plongera dans la nuit de l’ignorance et de la cécité. À Rome, la sphinge redevient un motif subsidiaire qui conserve ses fonctions principales: funéraire (sarcophages), ornementale (torses cuirassés, candélabres, tables, etc.), narrative (peintures, mosaïques contant l’épisode œdipéen). Mais la rencontre avec Œdipe suscite des compositions paysagistes, où le rôle des protagonistes perd de son importance. De la fin de l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, la sphinge sera reléguée à ce rang subalterne. On la rencontre sur des chapiteaux d’églises, aux Xe-XIIe siècles, ou, personnifiant la raison, dans les miniatures. Même la Renaissance ignore sa signification mythique, privilégiant l’usage décoratif dans les « grotesques» ou dans l’ornementation des trônes (Donatello: Madone de Padoue; Matteo di Giovanni: fresques de San Agostino à Sienne). Le XVIIIe siècle installera le monstre dans les jardins et l’associera au décor du mobilier et des pendules. C’est J. D. Ingres qui, dans les deux toiles (versions de 1808 et de 1828) consacrées à Œdipe et à la sphinge, rend au groupe sa portée mythologique. La toile suscitera un regain d’intérêt pour le thème, patent dans la seconde moitié du XIXe siècle. Avec Gustave Moreau (huile de 1864), Fernand Khnopff et Franz von Stuck, la composition dépasse la restitution néo-classicisante. Elle ne se réfère aux modèles antiques que pour les mieux trahir. Marquée par la pensée rosicrucienne et par la littérature du temps, la scène mythique, déviée et sublimée, exprime un thème spécifique du XIXe siècle: celui de la femme fatale, incarnée notamment par la sphinge. C’est au service de l’idéologie romantique, où amour et mort se fondent, que le schéma grec recouvre sa dimension première. Par l’abstraction (Ritschl, Klee) ou la déstructuration (Bacon), les créateurs du XXe siècle ajoutent à l’ambiguïté de la figure. Ernst Fuchs, retenant l’idée de von Stuck, l’imagine sous les traits d’une femme, dépourvue de caractères tératologiques. Seul, Giorgio De Chirico a choisi d’illustrer l’épisode thébain. Mannequin à tête ovoïde, Œdipe porte le doigt au front, retrouvant le geste de la réflexion, caractéristique des compositions romaines. Esthétiques grecque et symboliste se mêlent dans l’art contemporain, attestant, par ce double héritage, l’étonnante pérennité de la sphinge.
Encyclopédie Universelle. 2012.